French/English Essays

Published by Catherine Toulsaly

Writing is a mystery that feeds on sounds, emotions, and flashes of light, which time constantly calls into question. There are dreams that pile up on other dreams so that we no longer know where the reality is. The heart of the Universe conceals the emotion of time, which propagates in space, glides on gravitational waves, devouring gravitons in its path. It is betrayed by the eruption of sunspots and when it imparts rainbows of light to nebulae and filaments, to oceans of land, water, and sentient beings. The ontology of the Universe manifests itself in the flow of consciousness engorged by the emotion of time, which grows and shakes the grains of dust with the friction of the cosmic rays, which fragment, coagulate, and transform under the effects of the light. The emotion of time is everywhere and nowhere at the same time. It hides in the darkness of dark energy, is contained within the geometric shapes of celestial objects, and reappears in energy transfers. She makes herself dizzy by dint of spinning on herself like the wheel of a chariot and rolls endlessly, carrying with her the chariot of the Universe. She struggles inside the reflective transparent film that envelops the Universe, imprisoned on the surface of the mirror with phantom shapes and will-o'-the-wisps. The emotion of time leaves a heavy sense of loss in the heart of the Universe. Only the chirping of birds deafens my mornings. The migratory white-throated sparrow has gone. What does it matter! There is always the ruby-throated hummingbird which will soon return to savor the nectar of the lobelias, and next year when I can return to the edge of the stream at the foot of the three stone shelters in Glenstone to hear the Universe breathe.

 L’écriture est un mystère qui se nourrit des sons, des émotions, des éclairs de lumière, que le temps sans cesse remet en question. Il y a des rêves qui s’entassent sur d’autres rêves si bien qu’on ne sait plus où est la réalité. Le cœur de l’Univers recèle l’émotion du temps qui se propage dans l’espace, glisse sur les ondes gravitationnelles, dévorant sur son passage les gravitons. Elle est trahie par l’éruption des taches solaires et quand elle communique des arcs-en-ciel de lumière aux nébuleuses et filaments,  aux océans de terre, d’eau et aux êtres sensibles. L’ontologie de l’Univers se manifeste dans le flot de la conscience engorgée par l’émotion du temps qui grandit, secoue les grains de poussière au frottement des rayons cosmiques, qui se fragmentent, se coagulent et se transforment sous les effets de la lumière. L’émotion du temps est partout et nulle part à la fois. Elle se cache dans l’obscurité de l’énergie sombre, est contenue dans les formes géométriques des objets célestes et réapparaît dans des transferts d’énergie. Elle se donne le vertige à force de tourner sur elle-même comme la roue d’un char et roule sans fin emportant avec elle le char de l’Univers. Elle se débat à l’intérieur du film transparent réflecteur qui enveloppe l’Univers, emprisonnée sur la surface du miroir aux formes fantômes et aux feux follets. L’émotion du temps laisse un lourd sentiment de perte sur le cœur de l’Univers. Il n’y a plus que les piailleries des oiseaux qui assourdissent mes matinées. Le bruant à gorge blanche migrateur, lui, s’en est allé. Qu’importe! Il y a toujours le colibri à gorge rubis qui reviendra bientôt savourer le nectar des lobélies et l’an prochain quand je pourrai retourner au bord du ruisseau au pied des trois abris de pierre à Glenstone pour entendre l’Univers respirer. (Resonance ou Vanite, 1 Mai 2020)

French/English Essays

I wonder if we can escape our fate. What are we the resonance of? Is it of our true nature? What exists and endures in the identity of our being? An echo of the past, a fractal image of order and chaos. In me resounds the Spleen of Baudelaire. From the resonance of sounds to the resonance of words, Iegor Reznikoff had discussed the privileged place of the phenomenon of resonance in the production of parietal art. The large cranial capacity, recalled Daniel E. Lieberman, predisposes Homo sapiens to perceive low sounds. Low frequencies resonate deep within. Resonance and sensitivity go hand in hand. It is said that dolphins perceive sounds with a frequency 8 to 10 times higher than the human hearing threshold. It is their resonance, in other words, the echo return, that they perceive. What if, between visible and invisible beings and things, there was only a mirror on which the sounds of the Universe were reflected. What if dreams were only resonances from the imaginary to the unconscious, an extension of ourselves in the same way that the measuring instruments we use in the conquest of space are also? I imagine the vibrations produced by the sounds inside beings, the echo of the universal sound that opens the field of consciousness. From individual resonance to collective resonance, from the frequency of the microcosm to that of the macrocosm, from microconsciousnesses to macroconsciousnesses, entities, large and small, do they resonate in unison? (Resonance ou Vanite, 24 May 2020)

 Je me demande si on peut échapper à son destin. Mais de quoi suis-je la résonance ? Est-ce de ma nature véritable ? Qu’est-ce qui existe et perdure dans l’identité de mon être ? Un écho du passé, une image fractale d’ordre et de chaos. En moi résonne le Spleen de Baudelaire. De la résonance des sons à la résonance des mots, Iegor Reznikoff avait discuté de la place privilégiée du phénomène de  résonance dans la production de l'art pariétal. L'importante capacité crânienne, rappelait Daniel E. Lieberman, prédispose l'Homo sapiens à percevoir les sons graves. Les basses fréquences résonnent au plus profond de l’être. Résonance et sensibilité vont de pair. On dit que le dauphin perçoit des sons d'une fréquence 8 à 10 fois supérieur au seuil auditif humain. C'est leur résonance, autrement dit le retour d'écho, qu'il perçoit. Et si entre les êtres et les  choses visibles et invisibles, il n’y avait qu’un miroir sur lequel se reflétaient les sons de l’Univers.  Et si les rêves n’étaient que des résonances de l’imaginaire à l’inconscient, une extension de nous-mêmes de la même façon que les instruments de mesure dont nous nous servons dans la conquête de l’espace en sont eux aussi ?  J’imagine les vibrations que produisent les sons à l’intérieur des êtres, l’écho du son universel qui ouvre le champ des consciences. De la résonance individuelle à la résonance collective, de la fréquence du microcosme à celle du macrocosme, des microconsciences aux macroconsciences,  entités, petites et grandes, résonnent-elles à l’unisson ?     

Two Birds

Two Birds

If time is linear, it flows in cascades and unfolds like a series of sequences, of split segments of which we sometimes remain prisoners. Immured in our individual spacetimes, our conceptions of time can converge or diverge. While some have short-term goals as their life mission, others see life in the long term with full consideration of the future and the physical and mental well-being of generations to come. Although these objectives sometimes conflict, it is important that they coexist in harmony. Time, meanwhile, does not freeze and inevitably continues its march with or without us. Why does the short time take precedence over the long time? The difference between us, I believe, comes from how we perceive this complex and multi-layered time.

Si le temps est linéaire, il coule en cascades et se déroule comme une suite de séquences, de segments fractionnés dont nous restons parfois prisonniers. Emmurés dans nos espaces-temps individuels, nos conceptions du temps peuvent converger ou diverger. Si certains ont pour mission de vie des objectifs à court terme, d’autres voient la vie sur le long terme en toute considération de l’avenir et du bien-être physique et mental des êtres. Si ces objectifs s’opposent parfois, il importe qu’ils coexistent en harmonie. Le temps, quant à lui, ne se fige pas et continue inéluctablement sa marche avec ou sans nous. Pourquoi est-ce que le temps court prime sur le temps long ? La différence entre nous, je le crois, vient de la façon dont nous percevons ce temps complexe et multicouche. (Resonance ou Vanite, 19 March 2021)


 

The Fragility Within (2022)

The Fragility Within (2022)

Thought cannot escape a fundamental contradiction. If the word is illusory, our thought, for its part, persists in wanting to understand. The word is a practical tool to learn and retain the lessons that have been taught, a vehicle in which our thought gets about. There is still knowledge to be discovered, which the rational mind and the natural disposition to the verb encourage the urge to explain, define, analyze, and demonstrate. But we should also recognize the existence of the unspeakable.

La pensée ne peut échapper à une contradiction fondamentale.  Si le mot est illusoire, la pensée, quant à elle, persiste à vouloir comprendre. Le mot est, pour elle, un outil pratique pour apprendre et retenir les leçons qui lui ont été enseignées, un véhicule dans lequel elle chemine. Il reste des connaissances à découvrir, que l’esprit rationnel et la disposition naturelle au verbe incitent à vouloir expliquer, définir, analyser et démontrer. Mais il faut reconnaître aussi l’existence de l’indicible.


 

Meditation (2015)

Meditation (2015)

Parietal art is one of the first evidences of research in Art, the first beginnings of a collective quest with the aim of expressing the inexpressible. It is in their works that humankind has deposited their most intimate thoughts and their richest intuitions. Art, by virtue of its nature, has no other goal than that of manifesting, in a sensible and adequate form, the idea which constitutes the basis of things.

L’art pariétal est une des premières évidences du travail des artistes-chercheurs, les premiers balbutiements d’une quête collective dans le but d’exprimer l’inexprimable. C’est dans leurs œuvres que les peuples ont déposé leurs pensées les plus intimes et leurs plus riches intuitions. L’art, écrit Hegel, en vertu de sa nature, n’a pas d’autre destination que celle de manifester, sous une forme sensible et adéquate, l’idée qui constitue le fond des choses (Resonance ou Vanite, 18 February 2022)


 

French/English EssaysFrench/English Essays

As Giacometti remarked, the artist-researcher first of all copies in order to see better, as if each copy added a stone to the foundations of his own edifice — from the Tower of Babel to the statues of Gandhara — to better absorb the gaze of others before being able to measure the depth of one's own vision of the Universe. The artist-researcher who manages to chase doubts from his mind and strengthen his confidence carries within the ways of seeing and thinking that preceded in order to help confront the mystery of one's own existence and to give an account of it through one's works. A copy is not trivial. It is declined in the plural. The dance of lines and strokes is unique to each artist. If research in art goes through imitation and adaptation, the map is its user manual, and the layers of words, shapes, and postures are benchmarks. Through imaginary strokes and lines, the creed of the artist-researcher is formulated. The unconscious, again and again, is in control of art.

 

Comme le remarquait Giacometti, il s’agit pour l’artiste-chercheur tout d’abord de copier pour mieux voir, comme si chaque copie ajoutait une pierre aux fondations de son propre édifice — de la tour de Babel aux statues de Gandhara — pour mieux s’imprégner du regard d’autrui avant de pouvoir mesurer la profondeur de sa propre vision de l’Univers. L’artiste-chercheur qui parvient à chasser les doutes de son esprit et à renforcer sa confiance, porte en lui les manières de voir et de penser qui l’ont précédé afin de l’aider à se confronter au mystère de sa propre existence et à en rendre ainsi compte à travers ses oeuvres. L’opposition dont parlent Deleuze et Guattari dans Mille Plateaux entre le calque et la carte me fait songer que ce que j’entends, moi,  par calque est esquisse, croquis, reproduction sommaire que l’on intègre en soi en une série d’instantanés. Une copie n’est pas dérisoire. Elle se décline au pluriel. La danse des lignes et traits est singulière à chaque artiste. Elle s’imprègne de ses émotions. Si la recherche en art passe par l’imitation et l’adaptation, la carte est son mode d’emploi et les calques de mots, de formes, de postures sont des repères. Par des traits et lignes imaginaires se formule le credo de l’artiste-chercheur. L’inconscient, encore et toujours,  est aux commandes de l’art. L’artiste rentre à l’intérieur de son inconscient comme on traverse un océan pour en sonder l’horizon sans jamais en toucher le fond. La recherche se poursuit au fil des siècles avec l’effet vaporeux de la technique picturale sfumato et la technique du glacis. Les produits de l’art représentent la lumière au bout du tunnel, la clairière illuminée dans une forêt de ronces. (Resonance ou Vanite, 18 February 2022)

French/English Essays

Research in the artistic dimension started for me with a story of iron wires, mixed assembly, imitations of symbols and geometric signs in ink, parietal engravings, petroglyphs, African masks and artifacts from Neolithic sites. It has since moved to stone. Today, in the end, I wonder if the boneshell writing and other pictograms were not, in my own eyes and in those of their authors, one-dimensional sculptural representations.

La recherche dans la dimension artistique avait démarré pour moi par une histoire de fils de fer, d’assemblage mixte, d’imitations de symboles et signes géométriques à l’encre de Chine, de gravures pariétales, de pétroglyphes, de masques africains et d’artefacts des sites néolithiques. Elle  s’est fixée depuis sur la pierre.  Aujourd’hui, je me demande au bout du compte si l’écriture ossécaille et autres pictogrammes n’étaient pas, eux aussi, dans mon propre regard et dans celui de leurs auteurs, des représentations sculpturales unidimensionnelles.

 

Tanzanian figures

Tanzanian figures

The need to create is not accidental. It is an irrepressible force that sometimes dies out and sometimes awakens after long silences. It feeds on an existential questioning and reverberates in the other areas of the artist's life. “Everything in the unconscious seeks outward manifestation,” writes C.G.Jung, “and the personality also desires to evolve out of its unconscious condition and reveal itself whole.” The collective unconscious is the source of inspiration, of the emergence of what lives in us.

Le besoin de créer n’est pas accidentel. Il est une force irrépressible qui tantôt s’éteint, tantôt se réveille après de longs silences. Il se nourrit d’un questionnement existentiel et se répercute dans les autres domaines de la vie de l'artiste. “Tout dans l'inconscient cherche à se manifester vers l’extérieur,” écrit C.G.Jung, “et la personnalité elle aussi désire évoluer hors de sa condition inconsciente et se révéler toute entière”.  Faut-il en déduire que nous nous leurrons à croire que l’influence vient de l’extérieur en empruntant le chemin inverse?  L’inconscient collectif est à la source de l’inspiration, de l’émergence de ce qui nous habite.

Eastern Island

Eastern Island

Richard Zanchetti said that the creator—whether poet, scientist, or writer—plays big. Illusion is everywhere that watches him and the clouds of narcissism can lead him astray forever, but does he really have a choice? The modifications made by the artist-researcher to the shapes and contours of a block of stone prove that even direct carving is a long search until one resigns oneself to accepting what has been created. How do you understand, writes Paul Bartlett, that inspiration is fleeting and capricious and that to seize it and hold it captive, you need the help of time? How to make understand that the artist gets lost in the stone and that she seeks inside by the breath of the void the mystery of her own interior life? The block of marble has become, at the end of the road, the Fragility Within, a feminine and left-handed figure, with bent legs, closed eyelids and bent head - like a bodhisattva. Shoulders weighed down by the whirlwind of past and present influences, she is a figure of transition, of a passage between visible and invisible within the limits predetermined by the dimensions of the stone. At the bottom of a black hole hides a well in which sensitive souls hear the call of the Universe. The artist-researcher is more than any other a mediumistic being who only knows how to communicate with the Universe tacitly.


Richard Zanchetti dit que le créateur — qu’il soit poète, scientifique ou écrivain — joue gros. L’illusion est partout qui le guette et les nuages du narcissisme peuvent à jamais l'égarer, mais a-t-il vraiment le choix ? Les modifications qu’apporte l’artiste-chercheur aux formes et contours d’un bloc de pierre prouvent bien que même la taille directe est une longue recherche jusqu’à ce que l’on se résigne à accepter ce qui a été créé. Comment faire comprendre, écrit Paul Bartlett,  que l’inspiration est fugitive et capricieuse et que pour la saisir et la retenir captive, il faut l'aide du temps? Comment faire comprendre que l’artiste se perd dans la pierre et qu’il cherche à l'intérieur par le souffle du vide le mystère de sa propre vie intérieure? Le bloc de marbre est devenu, au bout du chemin, la Fragilité intérieure, une figure féminine et gauchère, à la jambe repliée, aux paupières fermées et à la tête penchée — à la façon d’ un bodhisattva. Les épaules alourdies par le tourbillon des influences passées et présentes, elle est une figure de transition, d’un passage entre visible et invisible dans les limites prédéterminées par les dimensions de la pierre. Au fond d’un trou noir se cache un puits dans lequel les âmes sensibles entendent l’appel de l’univers. L’artiste-chercheur est plus qu’aucun autre un être médiumnique qui ne sait communiquer avec l’univers que tacitement.

French/English Essays

Creativity is a state of mind that feeds on itself and its environment. Creativity is intuitively understanding symbolic rules. It is to focus your attention outside yourself on the unexpected, the unknown, the mystery. It is to lose oneself so that one's inner voice arises by letting inspiration come. The invisible way, the inaudible voice of the Unconscious. To continue without a shadow of a doubt just out of passion or stubbornness and let a bit of madness seep into your life. Like blotting paper, the lines take shape, deepen, and come to life. The face, gateway to the mind, is the arena of observation through the eyes, nostrils, and ears, but also of communication through the mouth. Determining an order of priority between the fundamental concepts of reality -- space, time, gravity, and energy -- amounts to asking what came first: the mouth, the nose, the eyes, or the ears. Between statues deprived of eyes as if the eyes were not primordial, and patterns of decorative eyes around which dance abstract flourishes, wavy lines that are about to fly, as if the eyes needed to travel to set out to conquer the Universe, I hesitate. Six hundred million years before the present, a worm-like creature, a few millimeters long or wider, swam or crawled at the bottom of the seas, with embryonic eyes and endowed with a nervous system. It was the common ancestor of humans and cephalopods in the vast ocean of origins. In the first hours of life - the Cambrian period - eye embryos were born, the compound eyes of insects and our camera eyes. The evolution of the human face began five hundred million years ago with the appearance of vertebrates. Mouth, nose, eyes, and ears -- which are only the outer appearance of an inner ear -- are the tools we have in our dealings with the Universe. Coincidentally, I came across Laird Scranton's book on ancient Chinese cosmology in which he notes that the word ki in Dogon culture, which means "to reverse, overthrow, return" is the root of the term kikinu, which refers to a nose-like or tent-like structure (^). Incidentally, in ancient Chinese decorative art, the representation of the straight or inverted V very present, in particular on the frontal space or to trace the nose, would refer to qi 气, vital energy or breath that the nose, protruding part of the face , allows to convey. The word Spirit also comes from the Latin Spiritus (Breath). It is not in space that I want to travel but in time to return to buried memories of a universal source of all mysteries. 

La créativité est un état d’esprit qui se nourrit de lui-même et de son environnement. La créativité, c’est comprendre intuitivement les règles symboliques. C’est porter son attention en-dehors de soi sur l’inattendu, l’inconnu, le mystère. C'est se perdre soi-même pour que surgisse sa voix intérieure en  laissant venir l’inspiration. La voie invisible, la voix inaudible de l’Inconscient. Continuer sans l’ombre d’un doute juste par passion ou obstination et laisser un brin de folie s’infiltrer dans sa vie. Comme du papier buvard, les traits se profilent, se creusent et s’animent.  Le visage, porte de l’esprit, est l’arène d’observation par les yeux, les narines et les oreilles mais aussi de communication par la bouche. Déterminer un ordre de priorité entre les concepts fondamentaux de la réalité -- espace, temps, gravité et énergie -- revient à se demander ce qui a précédé : la bouche, le nez, les yeux ou les oreilles.  Entre des statues privées d’yeux comme si les yeux n’étaient pas primordiaux,  et des motifs d’yeux décoratifs  autour desquels dansent des fioritures abstraites, des lignes ondulées qui s’apprêtent à voler, comme si les yeux avaient besoin de voyager pour partir à la conquête de l’Univers, j’hésite. Il y a six cent millions d'années avant le présent, une créature en forme de ver, quelques millimètres de long ou plus large,  nageait ou rampait au fond des mers, avec des embryons d'yeux et dotée d'un système nerveux. C’était l’ancêtre commun des humains et des céphalopodes dans le vaste océan des origines. Aux premières heures de la vie - la période cambrienne - , des embryons d'yeux sont nés les yeux composés des insectes et nos yeux caméras. L'évolution du visage humain commença il y a cinq cent millions d'années avec l'apparition des vertébrés. Bouche, nez, yeux et oreilles -- qui ne sont que l’apparence extérieure d’une oreille interne -- sont les outils dont nous disposons dans nos échanges avec l’Univers. Un concours de circonstances a fait que je suis tombée sur le livre de Laird Scranton ayant trait à la cosmologie ancienne chinoise dans lequel il note que le mot ki dans la culture Dogon, qui signifie “inverser, renverser, retourner” est la racine du term cosmologique kikinu, qui fait réfèrence à une structure en forme de nez ou de tente (^). Incidemment, dans l’art décoratif ancien chinois, la représentation du V droit ou inversé très présente, notamment sur l'espace frontal ou pour tracer le nez, ferait référence au qi 气,  énergie vitale ou souffle que le nez, partie saillante du visage, permet de véhiculer. Le mot Esprit vient par ailleurs du latin Spiritus (Souffle).  Ce n’est pas dans l’espace que je veux voyager mais dans le temps pour retourner aux souvenirs enfouis d’une source universelle de tous les mystères.

 

French/English Essays
To be informed of the latest articles, subscribe: